Petit doigt d’honneur à l’IA, ou la dite « intelligence » artificielle.
Je vois de plus en plus d’entreprises, d’associations, d’organisateurs de festival et même des ARTISTES (!!) utiliser l’intelligence artificielle pour générer leurs affiches promo et leur visuels de manière globale. J’ai même appris hier que certains humoristes demandaient à Chat GPT de leur trouver certaines blagues, prétextant que ça demandait du talent de savoir choisir laquelle était drôle parmi toutes les propositions… Sur Spotify, les fausses musiques de faux groupes, entièrement générées par IA, pullulent et obstruent le peu d’espace dans lequel des millions d’artistes peinaient déjà à s’engouffrer. Alors quand je vois des musiciens générer leurs propres visuels avec de l’IA, là j’implose. Si même un artiste ne comprend pas la problématique que pose l’intelligence artificielle, c’est le summum du désespoir, mon bon Grégoire.
L’IA, c’est un outil. Un outil qui va libérer les hommes de la pénibilité au travail, qui va leur dégager du temps pour pouvoir faire plus de choses super extra top et s’adonner aux petits plaisirs de la vie comme sortir au cinéma, lire des bouquins, peindre, faire du sport, aller boire un verre avec ses potes, pendant que l’IA, elle est chez vous en train de faire la vaisselle, récurer le chiotte et ranger vos plus belles chaussettes.
Nan, je déconne bien sûr.
Ça, c’est ce que l’IA aurait du être. C’est exactement le contraire qui se passe. Qui se souvient des années 60 (pas moi, j’étais pas né), quand l’automatisation a commencé à se développer dans les usines et dans les entreprises, sous prétexte qu’elle allait être le meilleur ami de l’homme, en lui évitant de soulever des charges de 30 kilos de manière répétée. Résultat : une destruction massive des emplois, qui en aura certes créés d’autres, mais pas dans les mêmes proportions d’une part, et au détriment des gens qui n’ont pas fait de longues études d’autre part.
Aujourd’hui, c’est l’IA qui te fait de la musique que tu peux écouter pendant ton ménage.
Bref, l’IA c’est pas l’automatisation des années 60 : c’est pire. Parce que remplacer cette personne qui n’avait pas fait de longues études, aujourd’hui c’est pas assez « disruptif ». L’IA, elle, menace de plus en plus de corps de métiers différents. Et cette belle histoire selon laquelle elle va vous libérer des taches les plus pénibles, comme la nouvelle lessive Ariel qui lave plus blanc que blanc, elle se retourne déjà contre l’humanité. On aurait vraiment voulu que l’IA fasse le ménage et les courses pour nous donner le temps de dessiner ou de jouer du piano, mais c’est tout l’inverse. Aujourd’hui, c’est l’IA qui te fait de la musique que tu peux écouter pendant ton ménage.
Certains n’ont pas idée du nombre d’illustrateurs qui vont devoir se reconvertir dans les prochains mois. Et puisque cette bête immonde conquiert tous les domaines, s’en suivront les vidéastes, les compositeurs, les paroliers, et ce pour ne citer que les métiers artistiques.
« Ben ouais mais en même temps l’IA, elle se démerde bien maintenant, j’ai vu/entendu des œuvres vraiment intéressantes. »
Le problème de l’IA n’est pas dans l’exécution technique, ça elle sait déjà et saura de mieux en mieux le faire. Le problème il est dans l’honnêteté de l’œuvre, dans son authenticité. L’IA n’a aucune histoire à raconter, parce qu’elle n’a pas d’existence. Elle ne met son cœur ni son âme nul part pour la simple et bonne raison qu’elle en est dépourvue. Comme me l’a fait réaliser Alexandre Astier (avec qui je ne suis par ailleurs pas d’accord sur les conséquences), ce qu’on a aimé jusqu’à aujourd’hui, ce qui nous a ému dans l’art avant l’avènement de l’IA, bien souvent sans même le savoir, ce sont les joies et les peines qui se cachent derrière le pinceau, l’instrument de musique ou la caméra, et qui ont amené à produire l’œuvre. C’est la sincérité de l’artiste. C’est le long processus de création, invisible au spectateur mais qui pourtant donne à l’artiste la joie et l’excitation qui transpirera dans son art. Croire que l’on devrait toujours opter pour l’efficacité n’est que pure idéologie capitaliste. La vérité, c’est que l’on a totalement perdu la capacité à apprécier la valeur du temps. Lorsque je fais mon pain chez moi, je ne le fais pas parce que c’est rentable (spoiler alert: ça ne l’est pas) ou rapide, je le fais parce que j’aime le processus de faire mon pain. C’est de la méditation, une fenêtre de temps où je ne pense pas à autre chose. Idem lorsque je photographie, que je dessine, que j’écris, ou que je compose de la musique. Le processus de création est le cœur même de l’art, c’est sa raison d’être. L’œuvre finale n’est qu’un résultat. Avec l’IA, tout n’est plus qu’un ramassis de ce qui a déjà été créé par l’homme, assemblé sur commande par quelqu’un derrière son ordinateur, qui la plupart du temps n’a pas la capacité technique pour produire le résultat. Or l’apprentissage qui conduit à la « maîtrise » d’un instrument au sens large du terme (je crois qu’on ne le maîtrisera jamais mais c’est un autre débat), c’est ce qui fait la beauté d’une œuvre : le très long chemin du travail, des frustrations, des accomplissements, des doutes, des perfectionnements, des frustrations encore… Bref la sueur de l’être. L’IA n’apprend pas : elle ne fait que voler ce que l’humanité a mis des millénaires à bâtir. Finalement, on peut tout à fait se contenter d’un produit de l’IA, mais on ne fait alors que donner son plein consentement à se laisser berner par une machine.
L’IA va inévitablement rendre le monde plus con.
« Ouais enfin, à la base tu parles d’une affiche promo pour un festival, pas d’un Van Gogh »
Ben oui, mais c’est le pied dans la porte. Aujourd’hui juste une petite image promo, puis demain une vidéo de 10 secondes, puis un jingle commercial, puis une chanson de 3 minutes, puis un album, puis un long métrage. A chaque fois que vous créez/demandez quelque chose à une IA, vous ne faites que nourrir la bête, vous l’entraînez, elle devient meilleure et satisfait donc plus de monde, qui la sollicite davantage etc. Tout ça sans même parler du coût énergétique absolument démentiel de l’IA. Il faut savoir que des « fart-istes » 100% IA, ça existe déjà, plein même. Ils ont généralement plus de visibilité que les vrais : comme ils peuvent créer/partager davantage et plus rapidement, les algorithmes les favorisent. Je me suis pour ma part déjà longuement arrêté sur ce que je pensais être une peinture, avant d’apprendre que c’était généré par IA, ce qui m’a permis de m’en détourner sans autre forme de procès, non par pur esprit de contestation, mais par amour pour l’Art.
Et puis, pour conclure, l’IA va inévitablement rendre le monde plus con. S’il n’est plus nécessaire d’apprendre quoi que ce soit afin d’obtenir un résultat de qualité professionnelle, pourquoi le feriez-vous/payeriez-vous quelqu’un pour le faire ? Nous faisons partie des générations qui avons commencé tout cela et qui acceptons de l’utiliser. Et je suis prêt à parier que nous serons également de celles qui trouveront terriblement agaçant que la génération de nos enfants ne veut plus rien apprendre, ni comprendre, ni faire quoi que ce soit sans l’assistance de l’IA (déjà qu’on est nous-mêmes pas bien malins dès qu’on a plus nos smartphones à portée de main pour nous dire où aller)
L’art était encore l’une des rares choses dont le vivant pouvait s’honorer d’être l’auteur exclusif. Quand je vois les gens défendre l’IA (dé)générative – c’est à dire celle qui produit le résultat ou une grande partie du résultat final, pas celle qui assiste modestement dans le processus technique de création – j’avoue être complètement perdu et j’ai l’impression qu’on est juste en train de chanter gaiement pendant qu’on creuse nos tombes.
Alors pour ne pas me faire traiter de vieux con anti-progrès et autre nom d’oiseaux (bien que je m’en foute)… Utilisons l’IA, mais pour aider à soigner le cancer, à mieux prévoir les risques liés au changement climatique, à trouver des solutions pour l’avenir, et laissons le pinceau au peintre, la plume à l’écrivain et la guitare au guitariste !